Récit : le parcours de Naelia

Naelia vient d’Érythrée. Elle a un peu plus de 40 ans. En 2005, alors qu’elle était enceinte, l’homme avec lequel elle vivait, père de son enfant, a déserté l’armée. S’ensuit alors un enchaînement d’événements en cascade pour cette famille, qui subit menaces, persécutions, et violences politiques. En raison du danger constant auquel elle est exposée, Naelia fuit et laisse derrière elle sa fille tout juste née.

Naelia traverse le Soudan et la Libye où elle est témoin d’exactions, de lapidations, de meurtres et victime d’esclavage sexuel et de violences. Dans les prisons libyennes, les atrocités, les viols sont perpétrés quotidiennement par les geôliers : Naelia tombe enceinte et contracte le VIH.

Après plusieurs années passées dans les prisons libyennes, Naelia parvient à prendre la fuite en bateau avec son enfant née en captivité. Elle traverse plusieurs pays d’Europe avant d’arriver en France.

Naelia est alors orientée vers le Centre Primo Levi en 2018, où elle bénéficie d’un suivi psychologique. Sa fille, âgée de six ans, est prise en charge par un autre psychologue au sein de l’Espace enfants adolescents du Centre Primo Levi. Une médecin généraliste du Centre coordonne également le soin avec les hôpitaux afin qu’elle soit correctement prise en charge.

Naelia a été particulièrement marquée par l’effraction des limites de l’humanité et des transgressions de l’interdit dont elle a été quotidiennement témoin lors de sa détention : des hommes qui violent des hommes, des hommes qui violent des enfants, des enfants qui tuent. Elle a été exposée à un monde sens dessus dessous, un monde que ses croyances religieuses lui ont permis de traverser malgré tout par le maintien d’un espace psychique imaginaire. La religion a été pour Naelia à la fois moteur et espoir, l’accroche qui permet d’affronter le réel de la violence.

Ces événements traumatiques engendrent nécessairement chez elle une certaine défiance. A la fois envers autrui, mais également envers elle-même. Elle essaie de protéger tout le monde de sa colère, de sa rage, et multiplie pour cela les interlocuteurs. Naelia évoque qu’au regard de l’incommensurable des souffrances vécues, elle éprouve l’impartageable, l’incommunicable : personne ne comprendra jamais ce qu’elle a traversé. En cela, la violence se poursuit, non par excès mais par carence cette fois : on ne s’offusque pas suffisamment de sa situation, de son parcours.

Naelia est confrontée à une profonde désillusion face à une terre d’asile qu’elle peine à considérer comme telle. Le lien est difficilement établi avec les institutions, lien que les assistantes sociales du Centre Primo Levi viennent recréer, assurer, afin de fluidifier la relation entre la patiente et les différentes administrations qui, au lieu d’être une main tendue, semblent ériger des murs par un manquement dans la rencontre. Naelia se sent personnellement visée par l’incompétence administrative ; les assistantes sociales du Centre viennent remettre du lien et de la complexité là où la rencontre ne s’est pas faite.

Un an et demi après son arrivée, Naelia obtient son statut de réfugiée. Elle a récemment eu des nouvelles de sa fille restée au pays depuis 15 ans et du père de celle-ci. A l’aide de la juriste du Centre Primo Levi, Naelia a entamé une demande de regroupement familial pour faire venir sa fille aînée en France. Aujourd’hui, elle a l’impression de reprendre le contrôle de sa vie. Mais l’absence de guerre ne signifie pas la paix : Naelia ne connaît pas de répit, pas de repos, elle est prise dans un véritable épuisement psychique dû aux innombrables demandes et attentes administratives.

Elle n’est cependant plus uniquement dans la détresse. De nouveaux espaces de vie se créent. La haine, comme étouffée, laisse place à la nostalgie et à la tristesse. Peu à peu, la vie reprend son cours. Naelia a été portée par la volonté d’être une mère idéale pour son deuxième enfant : sa fille va bien, elle va à l’école, parle bien, ce qui est une grande source de satisfaction pour elle. Elle a réussi à la protéger de la violence et de l’insécurité.

La plupart des femmes qui ont vécu ce type d’événements voient leurs propres violences dans le regard de leurs enfants. Naelia y voit autre chose. Elle y voit une grande capacité d’adaptation, du plaisir. Elle y voit le bonheur qu’elle lui doit.