Michel Brugière, de Médecins du Monde au Centre Primo Levi

Vous étiez médecin de campagne, élu municipal d’un village du Cantal et même éleveur de chèvres et viticulteur. Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre le large et à vous engager dans l’humanitaire ?

Autour de la quarantaine, je crois que j’ai pris peur de la vie de notable qui se dessinait devant moi. En 1985, j’ai donc décidé de rejoindre Médecins du Monde. Je suis parti à Bamako pour une mission de six mois, et j’y suis finalement resté quatre ans. Puis ça a été le Liberia, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Cambodge, l’Angola, le Kosovo… A mon retour en France, on m’a proposé le poste de directeur des missions, puis celui de directeur général en 1993. J’ai quitté cette fonction en mars 2010, après vingt-cinq ans d’engagement. Néanmoins, j’y ai toujours gardé un pied : aujourd’hui, j’ai la responsabilité politique de la mission en RCA, à Bangui.

Quel a été votre rôle dans la création du Centre Primo Levi ?

J’ai fait partie du groupe qui a créé l’Association Primo Levi, en tant que représentant de MDM et avec Amnesty International, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), Juristes sans Frontières et Trêves. A l’époque, les réfugiés du Rwanda commençaient à arriver et la guerre continuait de faire des ravages en ex-Yougoslavie. Une première association, l’Avre, avait vu le jour à Paris avec le projet d’accueillir et de soigner ceux qui avaient été victimes de la torture. Mais la structure n’a pas tenu, et nous ne voulions pas que se perde l’expertise et le savoir-faire de l’équipe de psychologues-psychanalistes qui s’était créée. Nous nous sommes donc mis au travail pour recréer une structure, dans une ambiance très conviviale. Le plus difficile, finalement, a été de se mettre d’accord sur le nom de cette nouvelle association. Avec l’accord de la veuve de l’auteur italien, et en hommage à son œuvre de témoignage sur les effets de la violence politique, nous avons choisi le nom d’ « Association Primo Levi ». Côté financements, le budget de la 1ère année de fonctionnement a été couvert en quasi-totalité par Médecins du Monde.

Comment en êtes-vous arrivé à devenir président de l’association ?

Chaque organisme fondateur dispose de deux sièges au conseil d’administration de l’association. En 2003, je me suis engagé à représenter MDM car en tant que co-fondateur, j’avais très à cœur de consolider l’avenir de l’association. Par la suite, je me suis retrouvé président un peu par un concours de circonstances. En effet, l’ancien président Jacques Lebas a été touché par une maladie grave ne lui permettant plus d’exercer sa fonction. Avec l’accord du conseil d’administration, je l’ai donc remplacé au pied levé.

Quel est le sens de votre engagement aux côtés du Centre Primo Levi ?

Il est très simple. La torture est la forme la plus grave de la déshumanisation, tant pour la victime que pour le bourreau. Au cours des missions que j’ai effectuées pour MDM, j’ai été confronté à la pauvreté, à la violence, aux massacres, aux nombreuses violations des droits de l’homme envers les populations du tiers-monde… Cela m’a permis de comprendre les motivations vitales de ces personnes à fuir vers un monde meilleur qui les protège et leur donne de l’espoir. Pour moi, notre devoir de solidarité est une évidence.

Quels objectifs vous étiez-vous fixés en tant que président de l’association ?

Lorsque j’ai pris la présidence, j’avais deux objectifs :

– Le premier, à court terme, était de rétablir un climat de confiance et de sérénité entre l’équipe de soins et l’équipe administrative. Pour cela, nous avons travaillé pendant un an sur le “Projet Associatif” et nous avons heureusement fait le constat que nous partagions tous les mêmes valeurs.

– Les soins et l’accompagnement proposés par l’équipe clinique étaient de qualité et n’avaient pas à être remis en cause ; en revanche, pour répondre davantage aux besoins des personnes victimes de torture réfugiées en France et pour être plus forts dans la défense des demandeurs d’asile, il nous fallait donner davantage de visibilité à leur situation et à la prise en charge dont ils ont besoin. Mon deuxième objectif, à plus long terme, était donc d’augmenter la notoriété et la visibilité de l’association, exercice difficile sans moyens financiers conséquents. Cela exigeait d’utiliser tous les instruments disponibles afin de sensibiliser les décideurs politiques, tant au niveau national qu’européen, mais également le grand public. Là encore, nous avons travaillé, aidés par une agence, à préciser notre positionnement et nos messages et à élaborer la stratégie de communication.

Pourquoi, en 2015, l’activité de l’association est-elle toujours légitime et nécessaire ?

Pour moi, la question de la légitimité du Centre Primo Levi ne se pose pas, compte tenu des niveaux de violence et de barbarie qui nous entourent, compte tenu des violations massives des Droits de l’Homme et du Droit International humanitaire. Le problème, à mon sens, est que l’association est bien seule pour prendre en charge toutes les victimes de tortures et de violences politiques.

Retrouvez le parcours de Michel Brugière et l’histoire de Médecins du monde dans son livre Refuser le malheur des hommes, paru au Cherche-Midi.