Interview – Les confinements successifs, une épreuve pour les patients du Centre Primo Levi

Alors que nous sommes au cœur d’une troisième période de restrictions liées à la crise sanitaire, quels ont été les effets des confinements sur nos patients ? Jacky Roptin, psychologue au Centre Primo Levi, répond à nos questions.

Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire et des confinements successifs sur le suivi de vos jeunes patients ?

Pour les adolescents, ces confinements qui se répètent et n’en finissent plus ont eu des effets pour certains déstructurants et produisent beaucoup d’angoisse. Etre confiné, limité dans ses mouvements, c’est une rencontre avec soi-même. Et pour ces jeunes, c’est la rencontre avec leur corps, souvent agité, rencontre qui n’est pas aisée à l’adolescence. Là où pendant l’exil c’était le mouvement qui les définissait, ce caractère de suspension, d’arrêt, d’immobilité peut faire ressurgir des angoisses liées à des événements vécus qu’ils avaient cru avoir mis à distance. Certains que je continuais à suivre au Centre ou par téléphone me donnaient l’impression d’être au dessus d’un abîme pris entre agitation et risque d’effondrement. Il faut comprendre que ces éléments ne s’apaisent que dans une rencontre dans laquelle on parle au jeune plus qu’on ne parle de lui, comme ils en ont l’impression parfois, relation faite d’injonctions d’exigences, d’échéances. Et il faut avouer qu’ils ont du mal à trouver des espaces où ils sont inscrits dans le dialogue et ne sont pas réduits à des corps à gérer.

Le confinement a-t-il fait ressurgir des souvenirs traumatiques, par exemple liés à des périodes d’enfermement lors de conflits, ou des périodes de détention ?

Oui, mais de façon très diverse voire parfois paradoxale. Par exemple, certains patients ont surmonté le confinement, pourtant avec trois ou quatre enfants dans des espaces très exigus et dans une grande précarité en mobilisant certaines ressources acquises lors d’expériences analogues au pays où ils furent enfermés volontairement (pour se cacher) ou sous la contrainte, mais qu’ils avaient réussi à traverser en faisant montre d’un grand courage. Pour d’autres, et ils sont nombreux, le confinement est un rappel douloureux, une plongée dans un passé espéré souvent ne jamais revenir, que ce soit sous une forme ou une autre. La possibilité de son retour, peur réelle ou imaginaire est toujours une crainte pour ceux ayant vécu des traumas. Tout dépend de l’expérience vécue là-bas : si le confinement rappelle des scènes de sévices et de rencontres avec le corps malmené, il ne sera définitivement pas vécu de la même manière.

D’autres encore exprimaient bien le déroulé de leur pensée en cette période et les effets que cela produisait. Ainsi pour certaines personnes, le fait d’être recluses, enfermées dans un sentiment d’abandon de la communauté humaine, les renvoyait à l’absence des êtres chers, aux circonstances des pertes ou de la séparation, et ainsi par association aux moments des violences et des violences elles-mêmes subies et les ayant conduites à l’exil avec l’impression d’un destin irrémédiable, d’être poursuivies par le sort. Cela peut concourir à des périodes de grande détresse, d’un profond désarroi très fragilisant d’autant plus si on est en famille.

Que représente le confinement pour les patients du Centre Primo Levi ?

Si on fait un petit pas de côté, on pourrait dire aussi que le confinement, ils le connaissent déjà pour beaucoup d’entre eux. Être exilé, c’est toujours quelque part errer dans les couloirs de l’asile, ses méandres, une longue salle d’attente, et qui n’ont rien de corridors humanitaires. Ces couloirs de l’asile, c’est la relégation dans des espaces non seulement exigus et où règne une certaine promiscuité mais aussi à la marge, à la limite des frontières des villes, à la limite du continent humain pourrait-on dire. En quelque sorte c’est une prolongation également des espaces de l’exil que sont les camps de réfugiés, les centres de rétention, les jungles, les zones de confinement, les geôles, tous les lieux d’enfermement arbitraire en Libye ou ailleurs qui sont une réalité éminemment contemporaine de la condition exilée.