Accueil des exilés : sortir de l’impasse

Alors que le centre humanitaire de la Mairie de Paris vient d’ouvrir, de lourdes incertitudes planent sur la capacité de ce dispositif à résoudre la crise de l’accueil de milliers de personnes sollicitant l’asile à Paris, et contraintes de vivre à la rue dans des conditions dégradantes.

Les organisations signataires de la Coordination française pour le droit d’asile appellent le Gouvernement français à prendre enfin la mesure des réformes d’ampleur indispensables pour mettre un terme à la situation désastreuse d’hommes, de femmes et d’enfants qui, après les violences ou la persécution à l’origine de leur départ et les dangers de l’exil, doivent subir des conditions de vie indignes dans notre pays.

Si l’intention qui a présidé à la création de ce centre à Paris est louable, elle ne peut masquer un diagnostic évident qui touche toute la France : la multiplication de solutions ad hoc et à court terme ne sera pas suffisante pour résoudre la crise humanitaire dont les réfugiés sont victimes.

Celle-ci est d’abord la conséquence des dysfonctionnements majeurs en matière d’accueil des réfugiés causés par le retard pris par l’État depuis deux décennies.

Si l’accueil des personnes qui fuient les persécutions ou les conflits dans leur propre pays est un impératif moral, il est surtout une obligation juridique dictée par la Constitution française, le droit européen et la convention de 1951 relative au statut des réfugiés que la France a ratifiée.

Les mesures à prendre sont simples, mais elles exigent lucidité et courage politique.

Des mesures immédiates :

– Mettre fin aux opérations de dissuasion exercées à l’encontre des personnes qui attendent dans des conditions dégradantes d’obtenir un rendez-vous auprès des plateformes d’accueil et des préfectures.

En parallèle d’évacuations organisées, les autorités régulièrement chassent les réfugiés installés dans les espaces publics, procèdent à leur arrestation et privent même certains d’entre eux de leur liberté en les plaçant en centre de rétention, en vue de leur renvoi forcé du territoire.

Ces pratiques d’intimidation et de répression sont d’autant plus inacceptables que la situation de ces personnes dans ces conditions est intégralement imputable aux autorités françaises. Ces personnes doivent être présumées réfugiées.

– Les départements et l’aide sociale à l’enfance doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les enfants non accompagnés qui se retrouvent à la rue et les enfants isolés sont souvent en butte aux soupçons et aux doutes sur leur minorité. Leurs conditions d’accueil d’urgence sont déplorables et les délais pour décider de leur protection sont disproportionnés au regard des enjeux.

Le fait qu’un enfant ne peut être éloigné du territoire ne doit pas l’exclure de la procédure d’asile.

– Prendre en charge immédiatement les personnes dont l’état de santé nécessite un suivi particulier.

L’application de plus en plus restrictive du droit à une protection maladie, ainsi que la multiplication des refus et retards de soins à l’encontre des exilés dans les hôpitaux publics conduisent à des situations graves sur le plan de la santé, qui débordent largement les capacités des centres de soins « humanitaires ».

Les services de la sécurité sociale doivent appliquer les procédures d’instruction rapide afin de permettre aux personnes malades d’accéder aux services de santé de droit commun.

Dans l’attente, les dispositifs PASS (Permanences d’accès aux soins de santé) des hôpitaux publics doivent être dotés des moyens nécessaires, notamment d’interprétariat professionnel et de prise en charge de la santé mentale pour accomplir leur mission d’accès inconditionnels aux soins pour les personnes démunies.

Des mesures structurelles :

– Mettre à disposition des préfectures concernées les moyens nécessaires pour que les demandes d’asile soient enregistrées dans les délais légaux.

Les textes européens exigent de la France que l’enregistrement des demandes se fasse dans un délai de 3 jours ouvrés ; il est aujourd’hui de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, à Paris et à Cayenne. Les exilés qui vivent à la rue dans des conditions dégradantes sont victimes de l’incapacité structurelle de l’administration à enregistrer rapidement les demandes.

– Accélérer l’ouverture de places dans les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile – seul dispositif assurant un suivi juridique.

Les textes européens exigent que la France offre des conditions d’accueil décentes à tous les demandeurs d’asile. Il y a aujourd’hui près de 100 000 demandeurs d’asile en France et le dispositif d’accueil dédié ne permet d’héberger que 40% d’entre-eux. La France ne fait pourtant pas face à une hausse exceptionnelle du nombre de personnes en demande d’asile (+20% en 2016). Si le Gouvernement souhaite réaliser son objectif d’héberger 80% d’entre elles, il doit doubler le nombre de places prévues pour la fin de 2017 (60 000 places).

– Permettre aux personnes demandeuses d’asile de vivre de façon autonome : rétablir le droit effectif au travail, à la formation linguistique et à la formation professionnelle.

Pour favoriser l’autonomie des personnes, il faut avant tout revaloriser le montant de l’allocation pour demandeur d’asile afin qu’elles puissent se loger par elles-mêmes.

Mais il est surtout nécessaire de rétablir les droits et les dispositifs permettant aux demandeurs d’asile de travailler, de suivre une formation linguistique et de bénéficier d’une formation professionnelle.

Organisations signataires :

ACAT-France (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Amnesty International France, APSR (Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France), Ardhis (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles & transsexuelles à l’immigration et au séjour), Comede (Comité médical pour les exilés), Dom’Asile, ELENA FRANCE (Association d’avocats liés au Conseil Européen pour les Réfugiés et Exilés), GAS (Groupe accueil solidarité), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s), JRS France (Jesuit Refugee Service) Cimade, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Médecins du Monde – mission France, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Centre Primo Levi (Centre de soins et soutien aux victimes de la torture et des violences politiques), Secours Catholique (Caritas France).